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De la protestation à la célébration – L’évolution de la Fierté

Dernière mise à jour : 29 avr.

Par Capt Sloan


Aujourd’hui, la saison de la Fierté est souvent considérée comme une période de « célébration », dont les éléments les plus connus sont les défilés et les activités riches en couleurs et en musique qui accompagnent la saison, notamment les spectacles de drag, les soirées dansantes et l’ambiance festive en général. En tant que Canadiens, nous avons le privilège de pouvoir entamer avec joie la saison de la Fierté et de célébrer pleinement la liberté qu’ont les personnes s’identifiant comme membres 2SLGBTQI+ de vivre leur vie ouvertement et sans craindre d’être emprisonnées ou blessées pour le simple fait d’être elles-mêmes. Cela n’a pas toujours été le cas dans notre pays et ce n’est pas la réalité pour de nombreux membres de la communauté 2SLGBTQI+ dans le monde qui vivent sous le joug d’un gouvernement ou dans des cultures qui continuent de vilipender les personnes non hétérosexuelles et non cisgenres. Voilà qui soulève la question suivante : quand sommes-nous passés de la protestation à la célébration? Aux fins du présent article, l’expression « queer » sera employée comme un terme générique englobant tous les spectres de genre et de sexualité des personnes non hétérosexuelles et non cisgenres.

 


Les premiers événements de la Fierté étaient des marches de protestation contre les lois discriminatoires, dont l’élément catalyseur était les émeutes de Stonewall. Peu de gens savent que le Canada a connu ses propres événements marquants qui ont donné lieu à des rassemblements de la Fierté dans tout le pays. Alors que des manifestations importantes en faveur des droits queer ont eu lieu à Ottawa et à Vancouver en 1971 pour mettre fin à la discrimination par le gouvernement, la première « semaine de la Fierté » officielle a eu lieu en août 1973. Il s’agissait d’une manifestation nationale en faveur des droits des LGBT à laquelle plusieurs grandes villes ont participé, notamment Vancouver, Toronto, Ottawa, Montréal, Saskatoon et Winnipeg. Lors de la semaine de la Fierté en 1973, un festival d’art, des danses, des pique-niques, des projections de documentaires ainsi qu’un rassemblement pour les droits des homosexuels ont eu lieu en même temps dans toutes les villes participantes. Cet événement marquant a vu l’émergence du concept de « fierté », c’est-à-dire la fierté d’être soi-même, pour les communautés queer du Canada.

 

L’un des principaux événements politiques qui ont alimenté le mouvement de libération queer prenant de l’ampleur au Canada s’est produit à Toronto le 5 janvier 1974, à la Brunswick Tavern. Quatre femmes lesbiennes, les « Brunswick Four », ont été arrêtées alors qu’elles se trouvaient à la taverne. Les femmes ont porté plainte contre les officiers qui les avaient arrêtées, et les ont accusés de harcèlement verbal et physique (l’homosexualité avait été décriminalisée en 1969). Il s’agissait de la première fois qu’un sujet queer faisait l’objet d’une large couverture médiatique au Canada et que la lutte de la communauté 2SLGBTQI+ était portée à la connaissance du public.

 

En 1976, Montréal a connu une vague de répressions policières dans les bars queer du Village gai. Les opérations se sont poursuivies avec deux descentes dans des bars en octobre 1977, donnant lieu à une manifestation de 2000 personnes le jour suivant. À la suite de cet événement, le Québec est devenu le deuxième endroit au monde (le Danemark étant le premier) à adopter une loi interdisant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Cette décision capitale a été suivie par la modification de la Loi sur l’immigration afin de lever l’interdiction faite aux hommes gais d’immigrer au Canada. En 1979, Vancouver et Montréal sont devenues les premières villes canadiennes à organiser une marche et un festival officiels de la Fierté, suivies par Edmonton qui a organisé son tout premier festival de la Fierté en 1980.

 

La Fierté de Toronto, aujourd’hui la plus importante activité de la Fierté au Canada, découle d’un événement qui ressemble étrangement aux émeutes de Stonewall en 1981. L’« Opération savon», nommée ainsi parce qu’il s’agissait d’une descente dans quatre bains publics gais de la ville, a donné lieu à l’arrestation d’un peu moins de 300 hommes. Si la plupart des accusations ont été abandonnées ou rejetées, des manifestations et des rassemblements ont été organisés en réponse à ces arrestations discriminatoires, et les protestations ont évolué pour devenir la première célébration de la Fierté de Toronto.

 

La première célébration de la Fierté à Winnipeg a eu lieu le 2 août 1987, durant laquelle 250 membres, sympathisants et alliés de la communauté 2SLGBTQI+ s’y sont rassemblés. Malgré la taille du groupe, la peur était palpable et certains membres présents portaient des sacs en papier sur la tête afin de ne pas être identifiés par crainte de représailles. Trente-sept ans plus tard, la Fierté de Winnipeg est devenue un événement très attendu, qui attire en moyenne plus de 35 000 personnes!

 

Malgré tous les progrès accomplis, Montréal a connu ses propres émeutes de Stonewall le 15 juillet 1990. La police a fait une descente dans un bar gai de la ville, ce qui a provoqué 36 heures d’affrontements violents entre la communauté 2SLGBTQI+ de Montréal et le corps policier, la communauté accusant les forces de police de contribuer à la culture d’homophobie. Cet événement a contribué à la politisation d’une génération de militants 2SLGBTQI+ et à l’union des gais et des lesbiennes, anglophones et francophones, sur un front commun. Ils ont ensuite travaillé à la création de groupes d’action politique et de marches des fiertés qui ont lutté avec succès pour les droits civiques et l’amélioration de la vie de la population queer de la ville.

 

Au cours des dix années suivantes, plusieurs victoires importantes ont été remportées par les membres de la communauté 2SLGBTQI+, notamment : la levée par la Cour fédérale de l’interdiction des personnes homosexuelles dans les forces armées (1992); la décision de la Cour suprême selon laquelle les gais et lesbiennes peuvent demander le statut de réfugié en raison des persécutions dont ils sont victimes dans leur pays d’origine (1994); la décision de la Cour suprême selon laquelle le « droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination » devrait inclure l’orientation sexuelle, bien que celle-ci ne soit pas explicitement mentionnée, et la décision des tribunaux de l’Ontario selon laquelle les couples homosexuels sont autorisés à adopter des enfants (1995); l’ajout de l’orientation sexuelle à la Loi canadienne sur les droits de la personne (1996); et la décision de la Cour suprême selon laquelle les couples homosexuels devraient bénéficier des mêmes droits que les couples hétérosexuels dans le cadre d’une union libre (1999).

 

Bien qu’il y ait encore des combats à mener (comme lorsque des protestations ont commencé après une descente au Club Toronto par six policiers masculins lors d’une activité queer et trans exclusivement féminine en septembre 2000, donnant lieu à un règlement de 350 000 $, à des excuses formelles par écrit, et à l’obligation de mettre en place une formation sur la compétence culturelle pour tout le corps policier), ce mouvement positif s’est poursuivi avec les cours supérieures provinciales qui ont commencé à reconnaître le caractère inconstitutionnel du refus du droit au mariage pour les couples homosexuels dès 2002 (Ontario), le premier couple homosexuel qui s’est marié en 2003 et le projet de loi fédéral C-38 qui a accordé le droit au mariage à tous les Canadiens en 2005 (le Canada étant le quatrième pays à accorder ce droit).

 

Alors que les personnes s’identifiant comme gais ou lesbiennes voyaient leurs droits évoluer positivement et étaient reconnues comme des Canadiens à part entière, les Canadiens transgenres ont dû attendre beaucoup plus longtemps avant d’être reconnus de la même manière par nos lois et nos règlements. La protection des droits des personnes transgenres au Canada a officiellement été accordée par la Chambre des communes seulement en 2013. En 2017, un an après que la Colline du Parlement a hissé le drapeau de la Fierté pour la première fois, la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel ont été modifiés pour inclure les termes « identité de genre » et « expression de genre », rendant illégale toute discrimination fondée sur ces deux aspects d’une personne, et les incluant dans les lois sur les discours haineux. L’Organisation mondiale de la Santé a ensuite retiré le terme « transgenre » de la liste des troubles mentaux désignés en 2019, bien plus tard que l’« homosexualité », qui a été retirée de la liste en 1973.

 

Aujourd’hui, alors que l’acronyme officiel de notre communauté s’allonge et évolue, d’autres expressions de l’identité sexuelle et de genre entrent plus fréquemment dans la conversation, notamment les personnes bispirituelles, asexuelles et bisexuelles qui font entendre leur voix pour être reconnues à la fois dans la communauté plus large et dans la communauté queer, de la même manière que les lesbiennes et les gais.

 

Le changement de mentalité du gouvernement fédéral à l’égard des Canadiens non hétérosexuels et non cisgenres a été reflété dans l’ensemble des FAC. L’avenir est prometteur grâce au sacrifice des activistes politiques de notre pays qui n’ont pas permis aux organismes de gouvernance de continuer à marginaliser les citoyens canadiens qui n’étaient pas « à leur place » et qui ont marqué le début d’une ère indispensable de respect de la dignité de toutes les personnes, quelle que soit leur identité. La modification des règles vestimentaires visant à abolir les normes binaires longtemps en vigueur, la création de groupes consultatifs (par exemple, l’Organisation consultative de la fierté de l’Équipe de la Défense) ainsi que la participation des niveaux de commandement supérieurs des escadres et des FAC aux célébrations locales de la Fierté témoignent de l’abandon de la pensée discriminatoire et préjudiciable à l’égard des groupes minoritaires en général, et de la communauté 2SLGBTQI+ en particulier.

 

Nous avons la chance de vivre au Canada où la Fierté a grandement évolué, de petits mouvements de protestation et de revendication pour des changements nécessaires à un moment très attendu de rassemblement de la communauté queer et de ses alliés. Nous pouvons commémorer en toute sécurité les personnes qui ont rendu le changement possible et célébrer la liberté que nous avons maintenant comme Canadiens d’être reconnus par nos autorités légitimes en tant que personnes, quelle que soit notre identité sexuelle ou de genre. Nous pouvons également attirer l’attention sur les membres marginalisés de nos communautés qui ont besoin de soutien afin de continuer à lutter pour l’égalité, y compris dans 33 % des pays du monde qui continuent de criminaliser l’homosexualité. La Fierté n’est pas seulement une période de célébration, mais aussi une manifestation de soutien aux communautés queer tant locales que mondiales qui continuent à lutter pour leur sécurité et leur liberté. Alors venez participer aux célébrations de la Fierté de votre région si vous souhaitez contribuer à un changement positif et durable!

 



 

Barre latérale :

 

1.     Le 14 mai 1969, le Canada décriminalise les actes homosexuels; la sanction royale est donnée le 27 juin 1969, un jour avant les émeutes de Stonewall à New York.

 

2.     En 2014, Toronto a accueilli la « WorldPride », un événement de la Fierté qui a lieu dans une ville différente à chaque célébration : de Rome (Italie), qui a accueilli la première WorldPride malgré l’opposition sans équivoque du pape en 2000, jusqu’à Amsterdam (Pays-Bas), qui prévoit accueillir la WorldPride en 2026.

 

L’Opération savon (5 février 1981) reste l’une des plus importantes arrestations de masse au Canada, et le chef de la police de Toronto a présenté des excuses officielles pour les rafles en 2016.

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